Par : Mounir Lakmani – Allemagne,
03/06/25
Le problème ne réside pas dans une fête bruyante, ni dans un festival où les lumières éblouissent plus qu’elles n’éclairent. Le vrai malaise vient d’une conviction insidieuse qui s’est infiltrée dans les esprits : le vacarme est devenu un exploit, la foule une preuve de valeur, et l’art n’a plus besoin de goût tant que les applaudissements sont au rendez-vous.
Un dérèglement a frappé la boussole du goût. Le tumulte est devenu une vertu, l’audace un synonyme de créativité, jusqu’à ce que la frontière entre courage et décadence s’efface. Les mots sont vides de sens, les rythmes se répètent jusqu’à l’ennui, et les têtes bougent non pas par émotion, mais par entraînement. Ce chaos est promu comme un saut vers la modernité, alors qu’il n’est ni progrès, ni art.
Tout ce qui monte n’est pas mesure de grandeur. Et tout ce qui se répète ne devient pas vérité. Ce que l’on nous sert sur nombre de scènes n’a ni la légèreté du divertissement, ni la profondeur culturelle : un vide brillant, déguisé d’effets spéciaux, drapé comme une réussite.
Sous tous ces faux projecteurs se cache une question essentielle :
Qui éduque le goût ? Qui protège le sens ? Qui trace la limite entre liberté et vulgarité ?
Le festival, censé être une fête de l’art, se transforme en miroir fidèle d’une société qui vacille – non par émotion, mais par confusion.
Oui, le public est nombreux. Mais la quantité n’est pas un critère de qualité, et la foule ne garantit pas la valeur. Les places sont pleines, non de réflexion, mais d’un désir d’évasion : échapper à la médiocrité, à la répétition, à la question “Où allons-nous ?”. Et soudain, la simple présence de la masse devient un argument, comme si les applaudissements suffisaient à masquer le vide.
Nous vivons une époque où les repères s’effondrent. Le goût est épuisé, les valeurs se retirent en silence, et le sens est remplacé par le rythme. Une ère où la célébration est devenue mécanique : plus besoin de raison, il suffit d’enceintes pour faire taire les doutes.
Le problème n’est pas dans la joie, ni dans l’art, mais dans cette “joie artificielle” qui détrône le sens pour lui substituer un clinquant vide et un éclat sans lumière. C’est l’ère de la dérision institutionnalisée, de l’illusion du “succès fracassant”, et le plus grand danger est que les gens s’habituent à la dissonance au point de ne plus entendre que cela.
Par une soirée d’été, la ville vibrait. Des lumières hurlaient, des haut-parleurs rugissaient, des visages ondulaient comme dans une célébration d’une victoire imaginaire – ou le deuil d’un sens mort sans qu’on s’en aperçoive. Le spectacle s’est terminé, mais l’histoire ne faisait que commencer.
La musique ne s’écoute plus, elle s’impose. L’art ne se savoure plus, il est servi comme un fast-food : personne ne demande la recette tant qu’il comble l’envie d’oublier et qu’il meuble le vide.
Aujourd’hui, on ne demande plus : “Qu’avez-vous écouté ?”
Mais plutôt : “Combien avez-vous sauté ? Combien avez-vous crié ? Votre moment a-t-il été capté par la caméra ?”
Le succès se mesure aux bras levés, non aux esprits éveillés.
La confusion est devenue norme : l’audace est vendue comme liberté, la futilité comme simplicité, et le vacarme comme génie – du moment qu’il “fait bouger la foule”. Et le goût ? Relégué en queue de file, ignoré, assourdi dans un tumulte qui ne laisse rien derrière lui. Le vacarme est devenu tendance, la superficialité une règle, et la vulgarité une expression d’époque.
Au milieu de tout cela, la conscience collective se redessine. Les goûts sont reprogrammés pour tout accepter, tant que c’est emballé sous l’étiquette “art” ou “ouverture”. On ne demande plus :
“Est-ce vraiment de l’art ? Est-ce que ça élève le goût ? Est-ce que cela mérite d’être célébré ?”
Le ton fort masque le vide du sens. La foule n’est plus une preuve, juste une excuse. Oui, des milliers sont présents. Mais que reste-t-il lorsque les lumières s’éteignent ? Rien, sinon un écho dans le vide.
Nous ne sommes pas contre l’art, ni contre la joie.
Nous sommes en colère contre une joie factice, utilisée comme écran pour cacher le déclin, ou comme arme contre toute voix qui oserait poser une question.
Les sociétés ne s’élèvent pas en vibrant, mais en écoutant.
Elles ne mûrissent pas en célébrant, mais en comprenant ce qu’elles célèbrent.
Et parfois, le silence est plus noble que le vacarme.
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