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L’impératif historique : des entreprises publiques pour la sécurité alimentaire

Par Aziz Rebbah
Mardi 8 avril 2025

Il y a un consensus général sur le fait que la sécurité alimentaire est une priorité nationale. Elle a été consacrée comme un objectif fondamental du Plan Maroc Vert, puis du programme Génération Verte. En effet, le pays ne peut demeurer otage des marchés mondiaux, des tensions internationales et des commerçants cupides, dépourvus de tout sens patriotique, qui ignorent volontairement leurs engagements. Ces derniers ont tiré profit de la sécheresse, de l’absence de régulation du marché, de la faiblesse du contrôle, voire de la complicité de certaines administrations, provoquant un fort mécontentement populaire, jusque dans certains cercles de l’État.

Ce mécontentement s’est accentué face au non-respect des engagements par les grands agriculteurs, en particulier ceux ayant bénéficié de centaines de milliards de dirhams d’aides, ainsi que de dizaines de milliers d’hectares depuis la liquidation des sociétés d’État comme SODEA et SOGETA. Ces bénéficiaires continuent de jouir des terres domaniales, collectives ou habous (waqf), en plus d’exonérations fiscales atteignant des milliards chaque année, d’indemnisations en cas de crise (sécheresse, inondations), et d’un large éventail de soutiens allant du financement des projets agricoles à la modernisation des réseaux d’irrigation et de routes rurales, sans oublier les subventions au gaz, et bien d’autres avantages encore.

À cette catégorie s’ajoutent les armateurs et détenteurs de licences de pêche, qui ont amassé des fortunes grâce au soutien de l’État. Ils bénéficient des ressources marines atlantiques et méditerranéennes, ainsi que de l’aquaculture, du soutien à l’achat et au renouvellement des bateaux et équipements, et des énormes investissements publics dans les ports de pêche et zones industrielles spécialisées.

Beaucoup d’entre eux reçoivent tout de l’État, exigent toujours plus, mais n’offrent rien de significatif en retour, ni à l’État ni à la société – même lorsqu’ils sont subventionnés pour l’importation lors de pénuries, comme ce fut le cas pour l’Aïd al-Adha dernier. Leur contribution à la sécurité alimentaire, à l’émergence d’une classe moyenne rurale, au développement de l’industrie agroalimentaire, à la fabrication d’équipements, ou à l’investissement dans la formation professionnelle, agricole et maritime, ainsi que dans la recherche scientifique, est quasi inexistante.

Il est donc nécessaire que l’État, dans sa dynamique actuelle de lutte contre la vie chère et de responsabilisation des acteurs – dynamique largement saluée par les citoyens – revoie les conditions des contrats, cahiers des charges et avantages accordés. Elle doit imposer à tous les bénéficiaires de terres, aides, exonérations et privilèges un respect strict de leurs engagements, quelle que soit leur influence ou position, allant jusqu’à reprendre certains avantages ou à les inscrire sur des listes noires les excluant de tout nouveau soutien, même dans d’autres secteurs.

Le processus de libéralisation, de privatisation et d’octroi de privilèges a démontré que le pari sur une élite économique nationale, en lui offrant tous les moyens de réussite et de compétitivité pendant des décennies, n’a pas produit les résultats escomptés. Deux tendances en sont nées : l’une dictée par une logique de profit ignorant les équilibres sociaux ; l’autre incapable de compétitivité sur les marchés national et international, dépendante en permanence des ressources de l’État. Les deux regroupent de nombreux acteurs qui fuient leurs obligations envers la société.

Il serait donc judicieux que l’État crée une ou plusieurs entreprises publiques pour la sécurité alimentaire, spécialisées dans l’agriculture, la pêche maritime et toutes les activités liées, de la production à la vente directe au citoyen. Il faudrait leur accorder les terres disponibles : terres collectives, domaniales, habous, et les aider à acquérir des terres privées. Elles bénéficieraient également de licences de pêche, d’aquaculture et de conditions avantageuses d’investissement dans la logistique (stockage, transport, distribution), ainsi que dans l’agroalimentaire (zones industrielles, production).

Ces entreprises devraient établir des partenariats solides avec les institutions clés du secteur : l’OCP, l’Agence de développement agricole, l’Office national des pêches, les instituts de recherche spécialisés en agriculture, pêche et eau, les établissements de formation professionnelle, etc., pour favoriser un développement durable, une production de qualité et une commercialisation solidaire.

De plus, elles pourraient investir dans des pays disposant d’un bon potentiel agricole et logistique afin d’approvisionner le marché national. Elles pourraient aussi créer de grands marchés alimentaires assurant un équilibre entre la compétitivité du secteur, les intérêts des investisseurs privés et le pouvoir d’achat des citoyens.

Pour garantir leur efficacité et leur pérennité, ces entreprises doivent être reconnues comme des établissements stratégiques, dotés d’un statut juridique solide, et soumises à une gouvernance rigoureuse, optimisant les coûts et assurant des résultats de qualité.

Ainsi, l’État pourra mieux réguler le marché des produits alimentaires tout en permettant à une large frange de la population d’y accéder à moindre coût et meilleure qualité.

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