Été 2025 : Les Marocains du monde entre symbolique du retour et réalité du désengagement…

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        Par : Driss Rahoui 08.08.2025    

 

Chaque 10 août, le Maroc célèbre la Journée nationale des Marocains du monde, un rendez-vous annuel hautement symbolique dédié à honorer les millions de Marocains résidant à l’étranger, en reconnaissance de leurs contributions économiques, sociales et culturelles, et en hommage à leur persévérance à maintenir les liens avec la patrie malgré l’éloignement géographique et les défis de l’intégration dans les sociétés d’accueil.

Mais l’été 2025 arrive avec des signaux préoccupants, annonçant un changement progressif dans le comportement de la diaspora vis-à-vis de son pays, et tirant la sonnette d’alarme sur un lien historique qui a longtemps constitué un rempart face aux crises et bouleversements.

Des chiffres positifs qui masquent un ralentissement inquiétant

Les données officielles publiées dans le cadre de l’opération « Marhaba 2025 » indiquent que le nombre d’arrivées de Marocains résidant à l’étranger entre le 10 juin et le 4 août a atteint 2 789 197 personnes, soit une hausse de 10,37 % par rapport à la même période en 2024. Une progression qui témoigne, en apparence, de la persistance de l’attachement au retour estival, particulièrement après les années de restrictions liées à la pandémie de Covid-19.

Cependant, une analyse fine de ces chiffres révèle une tendance baissière dans le rythme de croissance : la première phase de la saison (10 juin – 10 juillet) enregistrait une hausse de 13,3 %, tandis que la période suivante (11 juillet – 4 août) chutait à 7,05 % seulement. Un ralentissement qui ne semble pas accidentel, mais reflète probablement un malaise croissant, lié à la qualité de l’accueil, au coût de la vie, à la flambée des prix du transport aérien et maritime, ainsi qu’au manque d’offres touristiques à forte valeur ajoutée.

Des prix qui étouffent la nostalgie et alimentent le désengagement

Parmi les principales plaintes exprimées par les Marocains du monde cet été, figure l’augmentation record des prix des billets d’avion vers le Maroc, atteignant parfois des niveaux jugés excessifs, surtout pour les familles nombreuses. Cette inflation touche aussi la location de voitures, les réservations hôtelières, et même certains services de base dans les grandes villes et zones touristiques, rendant l’expérience du retour coûteuse financièrement et éprouvante psychologiquement.

Faute d’une stratégie gouvernementale claire pour réguler les prix ou offrir des mesures incitatives, beaucoup se retrouvent face à un choix difficile : revenir au pays à n’importe quel prix, ou opter pour des destinations plus compétitives et moins onéreuses. Ainsi, un nombre croissant de Marocains établis en Europe choisissent de passer leurs vacances en Turquie, en Espagne, en Grèce ou même dans les Balkans, bénéficiant de services touristiques de qualité à des tarifs raisonnables.

Du désengagement touristique à la rupture silencieuse

Le recul des retours au Maroc ne relève pas seulement du tourisme ou des finances : il pourrait, à terme, se traduire par une rupture affective et un détachement émotionnel vis-à-vis du pays d’origine. Chaque été sans retour est un été où s’effrite la nostalgie et s’agrandit la distance d’appartenance, notamment pour les deuxième et troisième générations, dont les liens avec le Maroc sont déjà moins enracinés que ceux du premier exil.

L’été 2025 sonne ainsi comme un avertissement : laisser l’expérience touristique et les services inchangés pourrait fragiliser le lien organique entre la diaspora et son pays natal, avec des conséquences économiques et sociales notables à moyen et long termes.

Les transferts financiers… un autre choc

Les indicateurs économiques confirment aussi cette tendance : selon l’Office des changes, les transferts de fonds des Marocains du monde au cours du premier semestre 2025 ont reculé de 2,6 %, pour s’établir à 55,864 milliards de dirhams, contre 57,347 milliards sur la même période en 2024. Il s’agit de la première baisse après trois années de croissance continue, soulevant de nombreuses interrogations sur ses causes profondes.

Certes, l’inflation mondiale, la hausse du coût de la vie dans les pays d’accueil, les besoins d’épargne et le remboursement des crédits sont des facteurs explicatifs. Mais la dimension émotionnelle compte également : certains ressentent que leurs contributions financières ne sont pas toujours reconnues à leur juste valeur, et que l’absence de mesures incitatives à l’investissement ou de soutien adapté aux visiteurs temporaires et aux rapatriés finit par éroder l’élan de solidarité.

Quel horizon face à ce tournant ?

Le Maroc est aujourd’hui appelé à repenser sa relation avec sa diaspora à la lumière de ces indicateurs. Maintenir la tradition des retours et préserver leur apport économique implique des politiques nouvelles, réalistes et attentives aux aspirations des Marocains du monde.

Cela passe par la réduction du coût du retour, via un soutien aux liaisons aériennes et maritimes, la mise en place d’offres touristiques adaptées, la simplification des procédures administratives, et l’amélioration des services dans les aéroports et les ports. La mobilisation de la diplomatie marocaine, des représentations consulaires et du ministère chargé de la communauté à l’étranger doit accompagner cette stratégie par une vision qui dépasse la simple célébration symbolique, pour établir un véritable pacte de confiance renouvelé.

L’été 2025 n’est pas qu’une parenthèse statistique : c’est un moment de réflexion sur la profondeur du lien entre le Maroc et ses enfants expatriés. La première étape consiste à reconnaître que la diaspora n’attend plus seulement un « accueil », mais des actions concrètes, un accompagnement structuré et la reconnaissance de son rôle stratégique dans la construction du Maroc de demain.

Si les Marocains du monde choisissent le désengagement, leur silence ne sera pas discret : ce sera un bruit sourd, capable d’ébranler l’un des piliers les plus solides de l’économie nationale et l’un de ses symboles les plus chargés de sens.

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